Le plus grand plaisir humain est sans doute dans un travail difficile et libre fait en coopération, comme les jeux le font assez voir. Emile Chartier, dit Alain |
Lorsque vous et moi travaillons ensemble simplement parce que nous nous sommes mis d’accord pour effectuer une tâche, ce n’est pas non plus de la coopération. Dans tout accord de ce genre, ce qui compte c’est l’accomplissement de la tâche, pas le travail en commun. Vous et moi pouvons être d’accord pour bâtir un pont, ou construire une route, ou planter des arbres ensem- ble, mais dans cet accord il y a tou- jours la peur du désaccord, la crainte que je ne fasse pas ma part de travail et ne vous en laisse effectuer la totalité. Lorsqu’on travaille ensemble suite à une forme quelconque de persuasion ou en vertu d’un simple d’accord, ce n’est pas de la coopération, car der- rière tous les efforts de ce type se cache la volonté de gagner ou d’éviter quelque chose. Pour moi, la coopération est tout autre chose. C’est le plaisir d’être et de faire ensemble mais pas forcé- ment de faire une chose en particu- lier. Comprenez-vous ? Les jeunes enfants ont normalement cet instinct d’être et de faire ensemble, l'avez- vous remarqué ? Ils sont prêts à co- opérer à tout. Il n’est pas | question d’accord ou de désaccord, de châtiment ou de récompense : ils ont seulement envie de se rendre utiles. Ils coopèrent instinctivement, pour le plaisir d’être et d’agir ensem- ble. Mais les adultes détruisent cet esprit de coopération naturel et spontané chez les enfants en disant : « Si vous faites telle chose, je vous récompenserai ; si vous ne faites pas telle chose, vous n’irez pas au ciné- ma », ce qui introduit un élément corrupteur. La coopération authentique ne naît donc pas simplement d’un accord visant à réaliser un projet commun, mais de la joie, du sentiment d’unité, si l’on peut dire ; car dans ce senti- sentiment n’entre pas l’obstination de la conception personnelle, de l’opinion personnelle. Quand vous saurez ce qu’est cette coopération-là, vous saurez aussi quand il faut refuser de coopérer, ce qui est tout aussi important. Vous comprenez ? Nous devons tous éveiller en nous cet esprit de coopé- ration, car ce ne sera pas alors un simple projet ou un simple accord qui nous poussent à travailler en- semble, mais un extraordinaire sentiment d’unité, une sensation de joie à être et à agir ensemble hors de toute notion de châtiment ou de récompense. |
Ce point est très important. Mais il est tout aussi important de savoir quand il faut dire non ; car nous risquons, par manque de discerne- ment, de coopérer avec des gens malavisés, avec des leaders ambi- tieux porteurs de projets grandioses, d’idées fantastiques, comme Hitler et d’autres tyrans qui sévissent depuis la nuit des temps. Nous devons donc savoir quand refuser de coopérer ; et ce n’est possible que si nous con- naissons la joie de la véritable coopération. Il est important de discuter ensemble de cette question, car lorsqu’on nous suggère de travailler en commun, votre réaction immédiate risque d’être : « Pour quoi faire ? Qu’allons-nous faire ensemble ? » | Autrement dit, la chose à faire compte plus que le sentiment d’être ensemble et de collaborer ; et quand la chose à faire le projet, le concept, l’utopie idéologique prend le pas sur le reste, il n’y a pas de coopération véritable. Nous ne sommes plus liés alors que par l’idée ; et si une idée peut nous lier, une autre peut nous diviser. Ce qui compte, c’est donc d’éveiller en nous-mêmes cet esprit de coopération, ce sentiment de joie et d’action commune, hors de toute considération de châtiment ou de récompense. La plupart des jeunes ont cet esprit-là, spontanément, librement, à condition qu’il ne soit pas corrompu par leurs aînés. Jiddu Krishnamurti http://www.krishnamurti-france.org/ |